Premier bouquet

J’ai fait un joli jardin de plantes à fleur devant la maison. Je l’avoue, les fleurs (l’organe reproducteur), me font de l’effet comme personne!!! Qu’on puisse rester insensible me déconcerte. Je suis déconcertée fréquemment. Quand j’y pense, il en va des humains comme des fleurs. Regarder est devenu un geste machinal par les temps qui courent.

« C’est beaucoup de travail! » Voilà le commentaire qu’on m’adresse d’ordinaire quand on m’aperçoit accroupie dans mes plates-bandes, concentrée et suante. Quelques mots, c’est déjà exceptionnel! Je devrais les remercier pour leur peine.

Comme ils avaient l’air exténué rien qu’à me voir! Quoi? N’avez-vous jamais frayé parmi les racines, les tiges, les feuilles, les épines, les fleurs, les terres, les pierres, le soleil, la pluie, le vent, le smog, le pollen, les insectes, le chat et les oiseaux? On observe, tout, beaucoup, les apparences, l’arrière-plan, on réfléchit, on médite, on creuse, on arrache-on en arrache, on sent, on plante, on coupe, on sent, je cueille, on arrose, on trempe, on sent…

Certes ma peau démange, la pointe d’une épine de rosier s’est enfoncée dans l’index (ça chauffe!), mes genoux ont été picorés par la pierre sur laquelle je me suis agenouillée trop longtemps et maintenant que je me relève, aïe! J’aurai le nez bouché toute la soirée!

Après inventaire, s’ajouteront une écharde, quelques égratignures, une pellicule de sueur et deux gouttes de sang. Ça n’est pas bien loin de l’enfance (sauf que je ferai mon lavage)! Quand j’émerge du jardin, tout en moi baigne dans le contentement! Littéralement, je retentis de joie et d’amour. Ichhh! Deux mots qu’on n’étale pas de nos jours. Et j’imagine déjà après l’incompréhension des relations animaux-humains, le scandale que suscitera l’impudeur d’une femme qui aime le sexe des plantes!

La joie et l’amour sont redoutables. On pourrait croire qu’on s’en tire bien mieux avec leurs définitions courantes. Là d’où on ne sent plus la secousse qui nous ébranle, si ce n’est dans le contexte des relations amoureuses où le mot bat encore de l’aile. Finalement, il est beaucoup plus facile de se répéter « Jaime mon chum, mes enfants, ma famille, une bonne bière au soleil et le gâteau au fromage! » 👍(75)

Le sang n’est vrai qu’à la télé. La douleur, avant tout, se traite. Souffrir, dans le sens de supporter ce qui nous est pénible, désagréable, ce qui nous tourmente, prendre son mal en patience, le méditer ne serait-ce qu’un peu, souffler… Mais non! On coupe avec elle, la souffrance! Trop de confort, ça vous rend intolérant et allergique! Le confort de l’essence, de l’électricité, de l’eau en permanence, le confort de l’économie mondiale, des technologies étourdissantes et des abonnements… La modernité n’a d’endurance que dans le sport!

La beauté se résume souvent à celle qui s’imite, qui s’achète et qui me manque. Elle est désignée comme telle par d’autres que moi. Rencontrer soi-même la beauté n’est pas une expérience commune. Je crains même que cette espèce rare ne soit en voie de disparaître.

En apercevant cette fleur mauve inconnue d’eux qui explose magnifiquement en bouquets touffus et bourdonnants le long du trottoir, il arrive que des individus s’enquièrent de son nom (c’est une népéta) sans oublier ceux qui en arrachent un bout en passant. Parfois, je capte un sourire. La dernière fois, c’était mon chat roux qui faisait aller sa queue et ses talents.

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L’espace du jardin est lourd d’expériences. Les fleurs se transforment en fruits. Ceux-ci protègent les graines dans un premier temps, puis, les aident à se répandre plus tard en se décomposant.

Cargo