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Au resto

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Il reste une table pour deux sur la terrasse qui longe la rue. Judith s’y installe, bien qu’elle préfère l’intérieur, mais, à cette heure-ci, le bruit de la cuisine, ajouté à la musique de fond et aux conversations qui vont bon train dans le resto bondé, est presque assourdissant. Un serveur l’aperçoit et vient vers elle avec un menu. Elle lui dit qu’elle attend quelqu’un. Il reviendra tantôt avec un deuxième menu. Malgré le va-et-vient des voitures et les paroles en l’air des autres convives, Judith réussit à se détendre. Elle prend le temps de regarder autour d’elle. Quelques couples, le nez plongé dans leur téléphone. Des amis qui jasent tout en jetant un œil sur l’écran de leur cellulaire. Ça la fait sourire, l’époque des regards échangés d’une table à l’autre est bien révolue. Tout de même, les gens se parlent au moins entre eux, malgré la distraction des alertes qui sonnent. Si jamais, ils rataient quelque chose ! Elle n’est pourtant pas en reste, elle sort son téléphone de son sac et regarde l’heure. Ça fait déjà quinze minutes qu’elle attend. Bon, elle lui en donne cinq autres, pas plus. Un lapin, ça se pose encore aujourd’hui!!


***


Pendant ce temps, Boris reste assis dans son auto. Il est perplexe. Il ne comprend pas trop la réaction de Judith. C’est vrai que vingt ans, c’est long. Malgré tout, il ne s’attendait pas à la voir lui sauter au cou, mais de là à lui demander s’ils se connaissaient, il y a tout de même un pas. Il n’a quand même pas changé tant que ça!


Sans faire d’effort dans son souvenir, il la revoit comme à l’époque, avec son drôle d’air, ses yeux noirs un brin japonais, son nez en petite banane retroussée, sa bouche bien découpée aux lèvres plutôt minces, la coupe Cléopâtre de ses cheveux chocolat lisses comme de la soie. Une image à jamais gravée dans sa mémoire. La raison de son retour après tant d’années passées ailleurs. Elle lui revenait toujours en tête et pourquoi pas la revoir pour en avoir le cœur net.


Il sort de sa rêverie en sursaut. Il faut qu’il file au restaurant. Google lui montre l’itinéraire jusqu’à l’endroit. Il démarre. Pourvu que le trafic ne soit pas trop dense.


***


Judith est sur le point de se lever quand elle l’aperçoit qui arrive en courant. Boris s’excuse, donne une explication à laquelle elle ne comprend rien. Elle lui fait signe de s’assoir, que tout va bien. Décidément, son grand sourire fait fondre son début d’irritation. Il est encore pas mal beau. Ça fait de l’effet tout de même.


Le serveur est de retour avec deux menus. Ils les consultent rapidement et commandent deux verres de vin et des crostinis. Le serveur repart à tire d’aile, revient bientôt avec le vin. Tous deux lèvent leur verre, font tchin, tchin. Un silence s’étire le temps qu’un ange passe.


Le retour du serveur avec les assiettes de crostinis brise cet instant suspendu. Tout en mangeant, Boris raconte des anecdotes cocasses de ses voyages, Judith le relance avec les pitreries de ses deux chats, leur conversation s’enroule sur des choses et d’autres, rien de trop compromettant, rien de vraiment personnel. Ils rappellent le serveur, commandent des cafés. En attendant Boris fouille dans sa serviette pour en retirer une enveloppe qu’il dépose sur la table.


J – Excuse-moi, mais, au parc, as-tu dis que tu venais juste de revenir ici ?

B – Oui, ça fait une semaine que je me promène en ville pour me reconnaître.

J – As-tu retrouver tes plaques?

B – Mes plaques ? Quelles plaques ?

J – Ah ! Tu ne connais pas l’expression, être à côté de la plaque?

B – Non, mais toi, tu as toujours été forte en français.

J – Ah ! Tu sais ça?

B – Ben oui, avec la quantité de livres que tu lisais, il y en avait jusque dans notre salle de bain.

J – Notre salle de bain? Voyons, Boris, de quoi tu parles!


L’air entendu, il lui sourit avec un regard tendre, tend le bras pour prendre sa main posée sur la table. Judith, surprise, la retire vite et recule sa chaise. Refusant d’être décontenancé, Boris écarte les tasses de café et pousse doucement vers elle l’enveloppe blanche qui, soudainement, fait de plus en plus tache, occupe de plus en plus de place, attire leurs deux regards.


J - C’est quoi cette enveloppe. On dirait que tu la pousses vers moi.

B - Ouvre-la. C’est pour toi.

J - Comment ça pour moi. Ça fait des années qu’on s’est vu.

B - Ouvre-la, tu vas voir. C’est un souvenir.


Judith prend l’enveloppe qui n’est pas cachetée. Il y trouve une photo. Elle la sort et la regarde : étroitement enlacés, Boris et elle s’embrassent. Elle n’en croit pas ses yeux. Bouche bée, elle lui jette un regard noir.


- C’est quoi ça? Un montage?

- Ben non, c’est nous deux sur le balcon de notre appartement dans Côte-de-sable.


Le même flottement qu’elle avait ressenti sur le banc dans le parc la reprend. Elle voit le Boris étudiant qui la regarde entre deux cours…

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