
Judith cache son visage dans ses mains. Elle laisse monter ses impressions et son esprit vagabonder. Et si Boris disait vrai? Comment se fait-il que leurs souvenirs ne coïncident pas? Les possibilités affleurent. Lui vient en tête la célèbre phrase de Sherlock Holmes : « Quand on élimine l’impossible, ce qui reste, même improbable, doit être vrai. » Elle laisse tomber ses mains, redresse la tête, fixe son regard sur celui de Boris plus qu’étonné de la voir lui sourire.
J - J’ai une idée, une idée de ce qui se passe, mais ce n’est pas sûr.
B - Quoi?
J - C’est trop flou, mais je connais quelqu’un qui pourrait peut-être savoir.
B - Ah! Qui ça ? Est-ce que je le connais ?
J - Je ne pense pas. C’est un gars que je connais depuis mon enfance. Il s’appelle Gaétan Lafortune. On jouait ensemble aux Égyptiens, on a même écrit le récit des aventures de Guigui. Je ne l’ai jamais oublié. Il était spécial même quand on était jeune. Je l’ai revu l’année passée et il est toujours aussi étrange, mais c’est correct.
B - Pourquoi tu penses qu’il peut nous aider?
J - Écoute, c’est difficile à expliquer.
B - Ça ne peut pas être pire que ce qui se passe. Pourquoi tu ne veux pas me croire ?
J - Parce que!
B - Ce n’est pas une raison, j’ai les photos, j’ai tes lettres. Qu’est-ce que tu veux de plus pour me croire?
J - Je ne sais pas. C’est comme si on n’était pas du même monde. Le Boris que je connaissais, on n’a jamais été ensemble. Mais la Judith que tu connais, elle était ta blonde. Comprends-tu?
B - Pas vraiment. Tu me perds. Tu sors ça d’où?
J - C’est juste une intuition. C’est pour ça que je veux parler à Gaétan. Lui, il sait des choses, il a une autre perception de la réalité.
B - Ok, mais il expliquerait quoi de ce que tu dis?
J - Je sais que ça l’air tiré par les cheveux, mais il a un don, il peut voyager dans le temps, comme toi et moi on voyage dans l’espace.
B - C’est complètement fou ton affaire!
Judith éclate d’un grand rire devant un Boris effaré.
Tous les convives du resto ont tourné la tête, curieux de cet éclat de rire. Judith et Boris n’y accordent aucune attention, plongés qu’ils sont dans leur situation inédite. Devant l’air interrogateur et incrédule de Boris, Judith se lance dans des explications étonnantes des pouvoirs de son ami Gaétan. Rien n’y fait, Boris écarquille les yeux toujours un peu plus, tout en secouant la tête.
B - Judith, c’est bien beau tout ça, mais je pense que tu ne veux tout simplement pas te rappeler notre passé.
J - Je comprends que tu ne veux rien croire de ce que je dis. D’accord. Prenons les choses une à une. Est-ce que tu t’attendais à me rencontrer dans le parc.
B - Pas du tout, je voulais juste revoir le parc où on a passé du bon temps ensemble.
J - Donc, on peut dire que c’est le pur hasard.
B - Oui, j’étais même surpris de te trouver là.
J - Pourquoi?
B - D’après l’adresse que j’avais, tu habites à Luskville.
J - Ah! Eh bien, tu vois, tu n’as pas la bonne adresse. En fait, j’habite à cinq rues d’ici depuis 15 ans. Je peux te le prouver, si tu veux, je suis venue à pied au resto. En fait, comment tu as eu l’adresse dont tu parles?
B - J’ai demandé à Sylvain Blondeau, il m’a dit qu’il te voyait de temps en temps.
J - Je ne connais personne de ce nom.
B – Bon Dieu, ça recommence!
